Véronique Tadjo, Reine Pokou, 2004

Quand l'auteure ivoirienne s’empare de la légende de la Reine Pokou pour retracer avec poésie la genèse des Baoulés (Ba-ou-li: "l'enfant est mort").

Avec ce roman, Véronique Tadjo, auteure ivoirienne, nous emmène de sa fine plume au travers de l’histoire légendaire qui a fondé le peuple Baoulé. Elle retrace le parcours de la Reine Pokou, figure autour de laquelle se dessine en antithèse le pouvoir de création –le peuple – mais aussi de destruction –le sacrifice du fils –.

 

Le livre se départage en trois chapitres :

 

Dans « Le temps de la légende », le narrateur conte les épopées d’Abraha Pokou qui, suite à des luttes pour la succession monarchique, doit fuir le royaume Ashanti pour chercher un nouveau territoire. Il s’ensuit le sacrifice de son fils au fleuve Comoé et la création du royaume Baoulé, érigé sur la mort d’un enfant (Ba-ou-li : l’enfant est mort).

 

Le deuxième chapitre « Le temps du questionnement », constitué de cinq sous-chapitres, relate les faits suivants : la légende est renouvelée et détaillée par une écriture qui adjoint désormais le pathos à l’évènement-clé, révélant les sentiments et le désespoir de la Reine devant la perte à venir. Écriture presque « féminine », l’auteure développe une longue métaphore filée autour de l’élément aquatique, « le ventre de la mer [se métamorphosant] en un vaste utérus » où l’enfant se trouve protégé et heureux. Par les itérations rhétoriques faisant claquer les questions autour de la légende et les diverses résolutions imaginées –transformation de la Reine en sirène ; refus du sacrifice et esclavage qui en découle ; offrande de son fils au fleuve avec des interstices bibliques très marquées, la mère avide ou dénuée de volonté de pouvoir–, l’auteure invite à repenser la légende, à l’actualiser, à déchiffrer les sphères les plus profondes qu’elle renferme.

 

Dans le dernier chapitre, « Le temps de l’enfant-oiseau », éminemment allégorique, l’enfant sacrifié s’est transformé et devient cet être volant qui, dans l’au-delà, peut combattre le mal humain.

Ce roman, véritable souffle poétique et reconstructeur mémoriel, permet à la fois l'entrée dans un récit à caractère merveilleux tout en dégageant une certaine perspective historique -propre de la légende; le mythe, l'allégorie et l'intertextualité débouchent sur l'intemporalité du questionnement qui surgit une fois arrivé au terme de la fiction et rend actuel la tension qui s'établit entre création/destruction ou primauté du collectif/de l'individuel. La lecture est fluide, poignante, grâce à un langage chantant où s'insèrent les paroles des esclaves et des rebelles au son du tam-tam.